Les préparatifs de l'attaque américaine contre les Houthis fuitent accidentellement sur Signal
Le journaliste Jeffrey Goldberg a reçu à l’avance, via la messagerie Signal, le détail des plans des raids menés le 15 mars 2025 par les États-Unis contre ce groupe de rebelles du Yémen.
Le 15 mars 2025, les États-Unis ont bombardé des cibles houthies à travers le Yémen. Jeffrey Goldberg, rédacteur en chef du prestigieux mensuel The Atlantic, a accidentellement été mis au courant des détails de l’opération via la messagerie Signal quelques heures avant qu’elle ne soit déclenchée. C’est en tout cas ce qu’il relate dans un long article paru ce jour, lundi 24 mars 2025.
L’histoire est ubuesque, digne d’une mauvaise satire d’espionnage. À tel point que je me suis demandé, en la lisant, si elle n’était pas inventée de toute pièce pour nuire à l’administration Trump. Jeffrey Goldberg s’est posé la même question. In fine, le récit semble véridique. Il dénote un amateurisme à peine croyable et confirme le cynisme de certains officiels de l’administration américaine pour qui les vies humaines ne semblent qu’accessoires.
De quoi s’agit-il ? La presse francophone, via l’AFP a déjà relaté l’affaire, mais sans entrer suffisamment dans les détails, pourtant révélateurs, de l’article original.
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Depuis octobre 2023, les Houthis — une organisation islamiste armée soutenue par l’Iran — lancent des attaques contre Israël et contre la navigation internationale, impactant le commerce à travers le canal de Suez. L’administration Biden avait été incapable de stopper ces attaques. Trump avait promis d’y mettre un terme. Notons au passage que les États-Unis alimentent depuis plus de 10 ans la guerre au Yémen en soutenant leurs alliés saoudiens, malgré les condamnations de la communauté internationale.
Le 11 mars 2025, Jeffrey Goldberg dit avoir reçu sur Signal une demande de connexion d’un certain Michael Waltz, qui n’est autre que le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump. Deux jours plus tard, le journaliste est ajouté à un groupe intitulé “Houthi PC small group.” Il se rend vite compte que ce dernier est composé des plus hauts responsables de la sécurité nationale des États-Unis. Il identifie notamment Marc Antonio Rubio (secrétaire d’État), JD Vance (vice-président), Tulsi Gabbard (directrice du renseignement national) ou le patron de la CIA, John Ratcliffe.
« J’avais de très forts doutes quant à l’authenticité de ce groupe de messagerie, car je ne pouvais pas croire que les responsables de la sécurité nationale des États-Unis communiqueraient sur Signal à propos de plans de guerre imminents », écrit Goldberg. « Je ne pouvais pas non plus croire que le conseiller à la sécurité nationale du président serait assez imprudent pour inclure le rédacteur en chef de The Atlantic dans de telles discussions avec des hauts responsables américains, y compris le vice-président. »
« Je déteste devoir encore une fois sauver l’Europe »
Le lendemain, vendredi 14 mars, un nouvel échange a lieu dans le groupe. JD Vance se demande s’il ne serait pas pertinent d’attendre un mois avant de lancer l’opération. Il poursuit : « 3 % du commerce américain transite par le canal de Suez. Pour l’Europe, c’est 40 %. Il y a un réel risque que le public ne comprenne pas cela ni pourquoi c’est nécessaire. La raison la plus forte de le faire est, comme l’a dit le président, d’envoyer un message. »
Un débat commence alors entre les protagonistes.
Pete Hegseth, secrétaire à la Défense des États-Unis, révèle ensuite les vrais intérêts de l’opération: « 1) rétablir la liberté de navigation, un intérêt national fondamental ; 2) réinstaurer la dissuasion, que Biden a complètement sapée. »
JD Vance ajoute : « Si tu penses qu’on doit y aller, allons-y. Je déteste juste devoir encore une fois sauver l’Europe. » L’administration américaine a déjà soutenu que les alliés européens profitent économiquement de la protection des routes maritimes internationales assurée par la flotte américaine.
Hegseth, trois minutes plus tard : « VP : Je partage totalement ton dégoût pour le parasitisme européen. C’est PATHÉTIQUE. Mais Mike a raison : nous sommes les seuls sur cette planète (de notre côté de la barrière) à pouvoir le faire. Personne d’autre n’en est capable, même de loin. La question, c’est le timing. J’ai le sentiment que maintenant est le meilleur moment, vu la directive du président pour rouvrir les voies de navigation. Je pense qu’on devrait y aller ; mais le président garde encore 24 heures pour décider. »
Le 15 mars, jour de l’attaque, à 11h44, Pete Hegseth envoie un message contenant des détails opérationnels sur les frappes imminentes au Yémen, notamment des informations sur les cibles visées, les armes que les États-Unis allaient déployer, ainsi que la séquence des attaques.
Des prières pour la victoire
Seul JD Vance répond, d’une façon cynique mais typiquement américaine : « Je vais dire une prière pour la victoire ». Deux autres utilisateurs ajoutent ensuite des émojis de prière, souligne Goldberg.
Selon le long message de Hegseth, les premières détonations au Yémen devaient se produire deux heures plus tard, c’est-à-dire à 13h45. Goldberg a donc attendu dans sa voiture, sur le parking d’un supermarché. Si cette conversation Signal est authentique, se dit-il, des cibles houthies seront bientôt bombardées. Vers 13h55, Goldberg consulte X et recherche le mot « Yémen ». Des explosions étaient alors signalées à travers Sanaa, la capitale.
Le ministère de la Santé yéménite, contrôlé par les Houthis, a rapporté qu’au moins 53 personnes avaient été tuées lors des frappes, un chiffre qui n’a pas été vérifié de manière indépendante. Dans le groupe Signal, les réactions sont joyeuses (voir ci-dessous).
Goldberg a ensuite quitté le conversation et commencé son travail de vérification. Brian Hughes, porte-parole du Conseil de sécurité nationale, lui a confirmé l’authenticité du groupe Signal: « Il semble s’agir d’une chaîne de messages authentique, et nous examinons comment un numéro a pu y être ajouté par inadvertance. »
« Je n’ai jamais été témoin d’une fuite de ce genre, commente Goldberg. Il n’est pas rare que des responsables de la sécurité nationale communiquent via Signal. Mais cette application est généralement utilisée pour la planification de réunions et d'autres questions logistiques — pas pour des discussions détaillées et hautement confidentielles concernant une action militaire imminente. Et, bien entendu, je n’ai jamais entendu parler d’un cas où un journaliste aurait été convié à une telle discussion. »
Outre l’aspect lunaire de cette séquence sur Signal, qui est déjà récupérée de manière opportuniste par l’opposition démocrate, les échanges confirment surtout le réalisme froid de stratèges américains (certains y verront aussi de la naïveté, de la bêtise ou de l’inconscience) : peu importent les Houthis, la lutte contre l’Iran et les autres considérations morales mises en avant dans les médias.
Le commerce international est impacté, il est important de rétablir la liberté des mers, dont les puissances anglo-saxonnes sont le garant depuis près de deux siècles. Et au passage, les protagonistes révèlent le peu de crédit qu’ils accordent à leurs “alliés” européens…
A l’instar des démocrates, les médias de grand chemin utiliseront certainement cet épisode pour blâmer Trump et son administration. L’occasion est trop belle. Ils oublieront de mentionner qu’au-delà de la forme, certes ubuesque et sans doute illégale, les démocrates n’auraient pas agi différemment sur le fond.
Il est important de se rappeler qu’au-delà des querelles partisanes, chaque attaque armée, chaque guerre, repose sur des objectifs tangibles et prosaïques qui n’ont que faire de la moraline véhiculée par les gouvernements et leurs agences de relations publiques pour faire passer la pilule auprès du grand public.
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