En Iran, une guerre annoncée? La stratégie américaine était déjà écrite en 2009
Dès 2009, un rapport de la Brookings Institution esquissait les scénarios d’une confrontation avec l’Iran que l’administration Trump semble avoir suivis. Les frappes d'Israël étaient mentionnées.
Au Proche-Orient, le bruit des bombes s’est calmé au profit d’un fragile cessez-le-feu. Beaucoup d’analystes ont déjà décrit en détail le déroulement des douze jours qu’aura duré cette guerre (qui pourrait cependant reprendre dans les semaines ou mois à venir, tant l’instabilité est grande dans la région).
La posture de Trump a fait couler beaucoup d’encre et mobilisé son lot de salive et de verbiage parmi les experts (au demeurant pas toujours très compétents). D’aucuns ont été déçus par les frappes américaines sur l’Iran, y voyant une rupture de la promesse de paix faite par Trump durant sa campagne présidentielle. Des soutiens de la première heure ont aussi tenté, à tout prix, de justifier l’action du président américain, par crainte de le voir chuter du piédestal idéologique sur lequel ils l’avaient placé.
Comme toujours, la réalité est à la fois plus simple et plus complexe. Et le président américain n’est pas maître, à lui seul, des grandes orientations stratégiques de la politique étrangère états-unienne. Il existe des tendances de fond qui demeurent en dépit des alternances partisanes. Ainsi, l’Iran est la cible des États-Unis depuis au moins quatre décennies. Elle l’était auparavant des Britanniques, qui ont joué un rôle central, avec la CIA, dans le renversement de Mossadegh en 1953. Pour comprendre ce qui se trame derrière l’écume de l’actualité, il est important de saisir ces grandes dynamiques de fond, qui se poursuivent parfois de manière détournée.
J’aimerais, dans cet article, vous parler d’un rapport méconnu intitulé “Which Path to Persia? Options for a New American Strategy Toward Iran”, publié en juin 2009 par le Saban Center for Middle East Policy à la Brookings Institution. Son contenu, qui a été porté à mon attention par le journaliste belge Michel Collon (que j’ai reçu sur Antithèse en début d’année 2025), est particulièrement intéressant, car il atteste que les décisions prises par Washington en ce mois de juin 2025 étaient à l’étude depuis au moins seize ans. Bien avant, donc, l’arrivée de Trump au pouvoir.
Ce rapport est fascinant, car il propose neuf options stratégiques pour adapter la politique des États-Unis vis-à-vis de l'Iran. « Washington est probablement limité aux variantes des neuf approches examinées dans cette étude, lesquelles impliquent toutes des coûts élevés, des risques importants et des compromis potentiellement douloureux », indique la Brookings Institution. Je vais résumer ces options et les mettre en perspective avec les événements récents, qui coïncident avec plusieurs d’entre elles.
Au cœur du dispositif américain : la volonté d’éviter que l’Iran ne devienne une puissance nucléaire et n’étende sa domination au Moyen-Orient. Les États-Unis cherchent en effet à maintenir leur influence dans la région pour sécuriser l'accès aux hydrocarbures, contrer les rivaux mondiaux (Chine et Russie) et protéger leurs alliés (Israël). L'Iran, en défiant cette hégémonie via son programme nucléaire, ses proxies et ses alliances, est perçu à Washington comme un obstacle stratégique.
1. “Une offre que l’Iran ne pourra refuser”
La persuasion est l'une des options privilégiées par le rapport Which Path to Persia? Elle implique un dialogue direct avec l'Iran, des incitations économiques et sécuritaires (garanties de sécurité pour le pays et son régime), et des sanctions plus dures en cas de non-coopération, ciblant en particulier les hydrocarbures.
En 2009, l'administration Obama avait adopté cette approche comme point de départ et obtenu un accord, dont la première administration Trump s’est retirée en 2018. Avant le 13 juin 2025, les États-Unis, sous l'administration Trump, avaient repris des négociations nucléaires avec l'Iran. L’attaque conduite par Israël, avec l’aval probable des États-Unis ou d’au moins une partie de leur “État profond” (comme me l’a soufflé l’ancien ambassadeur suisse en Israël Jean-Daniel Ruch), les a fait capoter.
Le rapport note que l’option diplomatique peut être utilisée pour se dédouaner de frappes militaires :
« Toute opération militaire contre l’Iran sera vraisemblablement très impopulaire à l’échelle mondiale et nécessitera un contexte international approprié — à la fois pour garantir le soutien logistique indispensable à une telle opération et pour en minimiser les retombées négatives. La meilleure manière de réduire l’opprobre international et de maximiser les soutiens (même s’ils sont réticents ou discrets) consiste à ne frapper qu’une fois qu’une large conviction se sera installée selon laquelle les Iraniens ont reçu — puis rejeté — une offre exceptionnelle, si généreuse que seul un régime déterminé à acquérir l’arme nucléaire, et à le faire pour de mauvaises raisons, pourrait la refuser. »
C’est ce que l’administration Trump semble avoir fait…
2. “Tenter Téhéran”
Il s’agit ici d’établir une relation de coopération à long terme avec l'Iran, en levant toutes les sanctions et en adoptant une approche d'accommodement et de réassurance, sans chercher à empêcher immédiatement le programme nucléaire ou le soutien aux groupes extrémistes.
« L’espoir suscité par l’engagement repose sur l’idée que, une fois que le régime iranien ne se sentira plus menacé par les États-Unis ou par la communauté internationale de quelque manière que ce soit, il en viendra à croire que l’amélioration des relations internationales renforcerait son propre pouvoir et sa stabilité, et qu’il choisira dès lors de modifier son comportement. »
Même si les gains à long terme sont potentiellement « plus importants », cette option est jugée peu attrayante pour Israël, principal allié dans la région, et politiquement difficile à défendre pour les États-Unis, car perçue comme de la faiblesse par les alliés arabes (Arabie Saoudite, Jordanie, etc.). Sans surprise, elle n’a donc pas été poursuivie par les différentes administrations américaines depuis 2009.
3. “Aller jusqu’au bout” : une invasion militaire
La Brookings Institution explore ensuite deux options militaires. La première concerne une invasion armée à grande échelle pour renverser le régime et détruire le programme nucléaire iranien. À l’image, en somme, de ce qui a été réalisé en Irak en 2003. Cette option est cependant jugée coûteuse, politiquement risquée (manque de soutien populaire, coût humain élevé, dégâts d’image) et peu réaliste, sauf en cas de provocation extrême (ex. : attaque terroriste iranienne majeure sur sol américain).
De fait, aucune invasion terrestre n'a eu lieu, et les actions militaires récentes se sont “limitées” à des frappes aériennes. Il ne semble pas exister de plans pour une invasion, ce qui est cohérent avec la réticence du rapport à envisager cette option sauf en cas extrême.
4. “L’option Osirak” : des frappes aériennes ciblées
La deuxième option militaire suggère l’emploi de frappes aériennes ciblées pour retarder le programme nucléaire iranien en détruisant des installations clés (Natanz, Fordow, Esfahan). Cette stratégie est jugée moins coûteuse qu'une invasion, mais elle risque d’entraîner des représailles iraniennes et un soutien accru au régime à l'intérieur du pays.
« Téhéran pourrait choisir de répondre de manière plus ou moins équivalente en lançant des missiles balistiques contre des bases américaines, des installations pétrolières, et d'autres cibles de grande valeur situées dans les États du Golfe, en Israël ou dans d’autres pays alliés des États-Unis. La forme de représailles la plus probable de la part de l’Iran serait toutefois un attentat terroriste, sous une forme ou une autre. »
Les frappes peuvent être menées par les États-Unis ou, dans une moindre mesure, par Israël (le rapport a un chapitre intitulé “Leave it to Bibi” — voir option 5 ci-dessous). Cette option, indique le rapport, nécessite des renseignements précis et une gestion des conséquences régionales.
Les auteurs rappellent aussi qu’elle “ne dispose actuellement d’aucune justification juridique véritablement valable. En particulier, les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU précisent qu’elles n’autorisent pas les États membres à recourir à la force pour contraindre l’Iran à se conformer aux exigences qu’elles énoncent.”
Depuis le 13 juin, Israël a lancé une campagne aérienne intensive ciblant les sites nucléaires iraniens (Natanz, Esfahan, Fordow), des bases de missiles, des infrastructures de commandement ainsi que des hauts responsables militaires. Les frappes ont endommagé des milliers de centrifugeuses à Natanz, des installations de production de combustible à Esfahan, et des infrastructures énergétiques critiques. Les États-Unis ont ensuite rejoint le conflit le 21 juin, larguant des bombes anti-bunker sur Fordow, Natanz et Esfahan.
En conclusion, les frappes israéliennes et américaines s'alignent avec l'option de frappes aériennes visant à retarder le programme nucléaire iranien. L'accent mis par Israël sur la dégradation des capacités balistiques correspond aussi à la recommandation du rapport de limiter les capacités de représailles iraniennes.
5. “Laisser faire Bibi”
Cinquième option : encourager des frappes israéliennes contre les installations nucléaires iraniennes, ce qui permettrait aux États-Unis d'éviter une implication directe tout en freinant le développement du programme nucléaire iranien. La fourniture d’un soutien logistique (autorisation de survol de l'espace aérien irakien, ravitaillement en vol) est possible.
La Brookings Institution relève — rappelons-le, nous sommes en 2009 — :
« Il existe de sérieuses raisons de penser que, dans un ensemble de circonstances favorables (ou défavorables), Israël lancerait une attaque — principalement des frappes aériennes, mais éventuellement appuyées par des opérations de forces spéciales — dans le but de détruire le programme nucléaire iranien. »
Et d’ajouter que Tel-Aviv se prépare sans doute déjà à une telle offensive.
Le rapport met aussi en évidence les risques élevés de cette option pour Israël et pour la région : représailles iraniennes contre les intérêts américains (plus de 40 000 soldats stationnés), perte possible du soutien international pour les sanctions contre Téhéran, et efficacité limitée des capacités israéliennes par rapport à celles des États-Unis. En outre, les capacités nucléaires iraniennes ne seraient que partiellement détruites, ce qui exigerait pour les États-Unis d’implémenter d’autres options (comme des frappes directes, par exemple).
Le conflit récent coïncide presque entièrement avec ce scénario : il a débuté par des frappes israéliennes unilatérales, contraire au droit international, le 13 juin. Elle a ciblé les sites nucléaires et militaires iraniens. Cela correspond à l’option “Laisser faire Bibi”, car les États-Unis n’ont, dans un premier temps, pas directement participé. Ils sont cependant intervenus le 21 juin avec des frappes directes, peut-être en raison des conséquences possibles des bombardements iraniens sur Israël — largement sous-estimées dans nos médias.
6. Une “révolution de velours”
L’expression « révolution de velours » désigne initialement le renversement pacifique du régime communiste en Tchécoslovaquie en 1989, sans effusion de sang, grâce à une mobilisation populaire massive et non violente. Par extension, ce terme est utilisé pour désigner tout changement de régime pacifique provoqué par la pression interne de la société civile, souvent avec le soutien implicite ou explicite de puissances étrangères.
Il s’agit donc ici d’encourager un soulèvement populaire pour renverser le régime des mollahs, via un soutien à la société civile et aux mouvements “démocratiques”. En d’autres termes, favoriser une “révolution de couleur”, comme il y en a eu en Europe de l’Est.
Le rapport de la Brookings Institution considère cependant que le changement de régime est difficile à réaliser à court terme, en raison de la répression du régime et de la complexité de la société iranienne. Mais le soutien à des organisations de la société civile peut représenter une pression complémentaire à d’autres mesures.
De fait, depuis 2006 et l’adoption de l’Iran Freedom Support Act par le Congrès des États-Unis, plusieurs centaines de millions de dollars ont été alloués par le gouvernement américain pour soutenir les mouvements de la société civile iranienne promouvant la démocratie, principalement via le Near East Regional Democracy Program et l’Iran Democracy Fund. Des ONG américaines comme la NED (National Endowment for Democracy) ou Freedom House sont aussi actives en Iran à cette fin. Plusieurs ont vu leurs activités suspendues (temporairement ?) après l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche.
Les frappes récentes en Iran n’ont pas favorisé cette option. Elles ont bien plutôt soudé la population contre l’agression extérieure et renforcé, de fait, le gouvernement en place.
Le rapport mentionne aussi, parmi les options possibles, la prise de pouvoir par Reza Pahlavi, fils du dernier shah. Durant ce mois de juin 2025, Reza Pahlavi est apparu dans les médias occidentaux pour soutenir une transition “démocratique” dans son pays. Son retour à la tête de l’Iran demeure toutefois, à ce jour, une perspective assez fantaisiste.
7. “Inspirer une insurrection”
L’ambition ici est de soutenir des groupes ethniques minoritaires ou d’opposition (ex. : Kurdes, Baloutches) pour déstabiliser le régime des mollahs. Le texte de la Brookings Institution est limpide :
« Le concept central de cette option consisterait pour les États-Unis à identifier un ou plusieurs groupes d’opposition iraniens et à les soutenir, comme ils l’ont fait avec d’autres insurrections en Afghanistan, au Nicaragua, au Kurdistan, en Angola et dans des dizaines d'autres régions depuis la Seconde Guerre mondiale.
Les États-Unis fourniraient à ces groupes des armes, des financements, une formation et une assistance organisationnelle afin de les aider à se structurer et à étendre leur influence. Les médias américains et les outils de propagande pourraient mettre en avant les griefs de ces groupes et promouvoir des leaders alternatifs.
Washington aiderait également ces groupes à trouver une base dans un pays voisin, à obtenir le soutien des autorités locales, et à mettre en place une infrastructure logistique destinée à appuyer leurs opérations sur le territoire iranien. »
Cette option est cependant considérée comme risquée en raison de l’instabilité régionale potentielle qu’engendrerait une guerre civile, et du manque de groupes d’opposition fiables en Iran.
8. Soutien à un “coup d’État”
Il s’agit ici d’encourager un coup d’État militaire pour remplacer le régime par un gouvernement plus modéré. Cette stratégie, un classique du répertoire américain, est cependant jugée très difficile à réaliser en Iran en raison de l’organisation du système militaire iranien et du contrôle exercé par les Gardiens de la Révolution, fidèles au régime.
Le rapport avertit :
« Un coup d’État militaire soutenu par les États-Unis pourrait être très mal perçu par la population iranienne dans son ensemble. Une telle action risquerait d’être interprétée comme un "remake de 1953", en référence au renversement du Premier ministre Mohammad Mossadegh orchestré par la CIA, et pourrait provoquer un retour de flamme, à la fois contre le nouveau gouvernement installé et contre les États-Unis eux-mêmes. »
Bien que les frappes récentes aient visé des figures clés de la hiérarchie militaire, il n’y a pas d’indication allant dans le sens d’un soutien de Washington à un coup d’État.
9. “Dissuader Téhéran”
La dernière option est celle de l’endiguement. Le rapport note dès 2009 :
« Dans une large mesure, la politique d’endiguement a été la position par défaut des États-Unis à l’égard de l’Iran depuis la révolution islamique, car Washington a échoué avec les autres options. »
Dans le contexte actuel, cette stratégie consisterait à accepter un Iran potentiellement doté de l’arme nucléaire, tout en limitant son influence par une présence militaire régionale renforcée, par des sanctions, et par des garanties nucléaires étendues aux alliés régionaux.
L’endiguement n’est pas au cœur de la stratégie de l’administration Trump. Ce dernier est, de fait, le premier président américain à avoir entrepris des frappes directes contre l’Iran, avec l’appui d’Israël — comme recommandé aux points 4 et 5 du rapport de la Brookings Institution.
Conclusion
En définitive, les événements récents au Proche-Orient ne sont ni le fruit d’une improvisation tactique, ni uniquement attribuables à la personnalité de Donald Trump. Ils s’inscrivent dans une stratégie de long terme pensée dès les années 2000 par certains cercles influents de la politique étrangère américaine. Le rapport “Which Path to Persia?”, en détaillant neuf scénarios d’intervention stratégique face à l’Iran, permet de lire les choix actuels de Washington et de Tel-Aviv comme l’actualisation progressive de ces options, souvent en combinaison : diplomatie conditionnelle, frappes ciblées, instrumentalisation d’alliés régionaux, et marginalisation de l’Iran sur la scène internationale.
Loin de répondre uniquement à une menace ponctuelle, la campagne militaire récente traduit la volonté des États-Unis de maintenir leur hégémonie régionale en neutralisant toute puissance concurrente. Comprendre ces dynamiques structurelles éclaire les enjeux géopolitiques bien au-delà de la conjoncture et invite à dépasser les lectures simplistes centrées sur les seuls dirigeants en place.
Eux n’ont plus ne se laisseront pas "révolutionner" même en soie par le petit et grand Satan. Et puis, si Israël veut devenir un hub pétrolier et gaziers pour l’Europe gageont que leurs installations pétrolières méditerranéenes seront des cibles idéales pour des missiles voyageurs multi sources peut être même de Turquie. Alors attendons encore la fin de TOUTE l’HISTOIRE de l’HUMANITÉ. Et même leurs diabolos satanyaiques de moins de 7 ans n’y rechargeant pas.